«Quand je passe ici en courant, cela me fait froid dans le dos.»Lors de ses footings hebdomadaires, Étienne emprunte parfois un itinéraire un peu perdu dans les environs du bourg d'Urrugne, petit village du Pays basque situé entre Saint-Jean-de-Luz et Hendaye. Une route sur laquelle, au bout d'une impasse, posée entre deux chemins terreux, une maison blanche et rouge trône, comme abandonnée.
Le point du soir
Tous les soirs à partir de 18h
Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.
Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :
Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.
Deux bâches noires recouvrent les deux grandes baies vitrées de la bâtisse et un long fil bloque l'accès à la demeure: «Chantier interdit au public», signale un panneau accroché devant. Ici, dans le jardin, les hautes herbes commencent à reprendre leurs droits, preuve du temps qui passe depuis la disparition soudaine de Laure Zacchello, il y a plus de trois mois, le 21juin dernier.
Plus aucun signe de vie
Ce jour-là, cette thérapeute de 43ans emmène ses trois enfants de 5,7et 9ans à l'école communale. Alexis J.*, son mari, a chargé sa mère – qui habite tout près – d'aller les récupérer à la sortie. Celle-ci s'exécute. Mais, n'ayant pas d'affaires pour ses petits-enfants, elle cherche à joindre son fils. Qui ne répond pas. Sa sœur finira par le retrouver, inconscient, sur la terrasse du domicile conjugal, blessé à la tête, un parpaing à ses côtés, avec sur le corpsdesecchymoses et des égratignures.
À LIRE AUSSI «Dans le cas de disparitions inquiétantes, l'emploi de chiens de piste est permanent» Dans la maison, aucune trace d'effractionni de lutte. Laure Zacchello, elle, est introuvable. Pourtant, ses affaires personnelles, comme ses deux téléphones portables, son ordinateur, son sac à main ou encore son véhicule, se trouvent sur les lieux. Mais la mère de famille s'est volatilisée. Envolée. S'ensuivent des jours et des jours de recherches. La montagne basque est fouillée de fond en comble. Sans résultat.
Le mari, suspect numéro un
La justice, elle, ne traîne pas pour mettre Alexis J. en examen. Le 26juin, Jérôme Bourrier, procureur de la République de Bayonne, ouvre une information judiciaire pour homicide volontaire par conjoint. L'enquête menée par la police judiciaire va révéler un véritable cauchemar conjugal. D'abord, un divorce compliqué entamé depuis le début de l'année. «Lui ne m'a jamais dit qu'ils se séparaient, contrairement à elle», nous glisse une agente immobilière qui avait estimé leur maison et selon laquelle «Laure vivait à droite à gauche et cherchait une location». Une violente dispute refait aussi surface. Début février, Alexis J., qui ne supportait pas la séparation, aurait cherché à arracher le sac de sa femme, qui l'aurait alors mordu. Des faits signalés au commissariat de la commune voisine de Saint-Jean-de-Luz et retrouvés via des écrits.
À LIRE AUSSI Esquivillon, Daval, Jubillar… Pourquoi une si longue attente avant l'interpellation? D'AlexisLaure semblait aussi avoir très peur. À plusieurs reprises dans les médias, sa famille décrit l'enfer vécu par la maman. Lors des nuits passées dans la maison, «elle dormait avec son sac et ses affaires sur le ventre», raconte notamment Émilia Tauzin, sa meilleure amie, dans les colonnes du journal Sud Ouest. Elle disposait également des objets autour du salonpour entendre un éventuel intrus approcher. Pire, elle s'était équipée d'une caméra portative et des vols ont également été constatés dans son cabinet, tout comme le piratage de sa boîte mail. Les experts de la police scientifique auraient, quant à eux, découvert des traces de sang au domicile du couple.
«Une mère louve, aimante et discrète»
Enfin et surtout, les enquêteurs vont dévoiler le profil troublant d'Alexis J., un enseignant à la fois passionné d'armes – un pistolet automatique et un pistolet-mitrailleur, disposés dans deux armoires de sa chambre à coucher, ont disparu – et survivaliste. Cet ancien officier de réserve dans la gendarmerie, adepte du tir sportif et de la chasse, posséderait plusieurs caches dans les environs de sa maison. Autant d'«indices graves et concordants», selon le procureur de la République, qui font d'Alexis J. le suspect numéro un, soupçonné d'avoir mis en scène son agression pour maquiller un meurtre. Placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, l'homme reste, depuis, mutique, prônant l'amnésie de ce fameux 21juin.
Aujourd'hui, à Urrugne, la disparition de cette ancienne infirmière reconvertie en thérapeute en «psychogénéalogie et constellation familiale»laisse des traces. «J'avais vu un message de Laure sur les réseaux sociaux dans lequel elle disait avoir eu peur pour sa vieet à aucun moment je ne lui ai demandé si elle avait besoin d'aide. On est tous dans notre quotidien, on ne fait rien. Et après c'est trop tard», culpabilise une mère de famille dont les enfants étaient scolarisés avec ceux de Laure. Dans la zone artisanale où elle avait son cabinet, à quelques centaines de mètres de son domicile, le vide qu'elle a laissé noue encore la gorge de celles et ceux qui la côtoyaient. «Elle était tout en douceur, empathique, souriante, passionnée par son travail. Elle a tellement donné pour les autres… Imaginer qu'elle a pu être assassinée, c'est terrible», livre Christine Guillet, une de ses collègues.
Des réponses attendues
Au cœur du petit village basque, tout le monde décrit la quadragénaire comme une «mère louve», «aimante». Une femme forte et discrète, qui ne laissait rien paraître de ce qu'elle traversait. «On la sentait mal et tendue. Elle nous disait que c'était très compliqué avec son mari, mais rien de plus», témoigne une maman avec qui elle pratiquait le hip-hop. Aujourd'hui, ses anciennes camarades de danse veulent comprendre. «En tant que femme et mère, ça laisse de la tristesse et de l'incompréhension. On espère que la vérité éclatera.»Ici, l'espoir de retrouver Laure vivante est «fragile», mais on prie pour retrouver son corps. Pour qu'enfin«le deuil se fasse».
Dans les Landes, à Bahus-Soubiran, sa ville natale, ses proches espèrent eux aussi des réponses. «C'est un dossier plein d'énigmes mais dont les projecteurs sont braqués sur une seule personne, souligne Frédéric Dutin, l'avocat de Michel et Anne-Marie Zacchello, les parents de Laure, qui ont aujourd'hui la garde de leurs trois petits-enfants. Il suffit qu'il veuille bien tourner la clé de la serrure et, derrière la porte, on aura la vérité. Il va falloir qu'il nous fournisse des explications sur les éléments à charge qui s'accumulent contre lui.»Le quadragénaire sera auditionné devant la juge d'instruction de Bayonne le 12novembre. En attendant, la police judiciaire, elle, continue de rechercher Laure.
*Alexis J. reste à ce jour présumé innocent